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Rendements, une envolée en dents de scie

La vigne - n°104 - novembre 1999 - page 0

Au cours de la dernière partie de ce siècle, il a fallu apprendre à maîtriser la vigueur des vignes. Par rapport aux époques précédentes, préoccupées par l'insuffisance ou l'irrégularité de la production, le changement de perspective est radical.

Depuis des lustres, on sait que la vigne ne doit pas être fertilisée comme les céréales. Mais ce principe fut oublié lorsque les engrais chimiques se sont répandus. 'Dans les années 60, les règles de la fertilisation des vignes étaient calquées sur celles du blé ou du maïs, rapporte Alain Carbonneau, professeur à l'Ensa de Montpellier. En matière de nutrition minérale, la viticulture était à la remorque des recherches faites en grande culture.'L'azote fut épandu massivement. Ajoutée au rajeunissement des vignobles, à la sélection sanitaire des plants, à l'amélioration de la protection contre les maladies et les ravageurs, la surfertilisation fut à l'origine d'une envolée des rendements. Avant l'arrivée du phylloxera, ils plafonnaient autour de 20 hl/ha. Puis ils se sont écroulés. Au début du siècle, les vignerons n'eurent pas d'autre choix que de faire appel aux hybrides pour les restaurer.Après la Seconde Guerre mondiale, ces espèces furent progressivement arrachées et remplacées par des Vinifera au potentiel de production moindre. Malgré cela, les rendements ont continué de progresser. Au cours de la seconde moitié de ce siècle, ils ont plus que doublé. Ils sont passés de 30 hl/ha dans l'immédiat après-guerre à plus de 60 hl/ha actuellement, tous vins confondus.Il a fallu attendre la fin des années 70 pour que l'on commence à s'inquiéter des effets d'une production excessive sur la qualité. Dix ans de plus ont été nécessaires pour que de réelles mesures soient prises dans les vignobles d'appellation.Peu à peu, des normes adéquates de fertilisation sont apparues. Dans un premier temps, l'Inra de Bordeaux a recommandé de limiter les apports d'azote à 50 U, puis à 30 U dans sa région. Aujourd'hui, Alain Carbonneau va plus loin. 'J'aurais tendance à dire que dans les vignobles de qualité, la règle est de ne faire aucun apport d'azote. Il faut partir de cette base nulle et l'augmenter si des situations particulières l'imposent.'Les anciens ne disaient pas autre chose. Les livres d'histoire nous rappellent que les fumiers et les fientes étaient déconseillés, voire interdits, sauf lors de la plantation. Nos ancêtres ignoraient que ces fertilisants sont riches en azote. Ils redoutaient qu'ils transmettent leur goût aux vins! Même si l'on peut juger ce motif farfelu, il a abouti à une règle censée.Longtemps, on était obnubilé par les exportations d'éléments minéraux causées par les feuilles, les sarments et les fruits. Elles avaient été mesurées dès la fin du XIXe siècle. Les marchands d'engrais les rappelaient régulièrement à leurs clients. En revanche, ils oubliaient de leur parler des restitutions par les feuilles tombées au sol et les sarments broyés. Dans la plupart des cas, les seules exportations dont il faut tenir compte sont le fait des raisins. Or, une production de 100 hl/ha n'emporte que 20 kg d'azote. Rares sont les sols qui n'en fournissent pas le triple ou le quadruple du fait de la minéralisation de la matière organique.Du calcul des exportations totales vient également l'idée que la vigne a de forts besoins en potasse qu'il faut satisfaire à coups d'engrais. Ces pratiques ont causé des carences en magnésie, dont l'assimilation est contrariée par l'abondance de potasse. Elles ont contribué à la baisse de l'acidité des moûts du fait de la neutralisation de l'acide tartrique par le potassium. Là encore, il a fallu réduire les apports.Cela n'a pas toujours suffi. Dans les sols riches, on a fait appel à l'enherbement. Cela ne s'était sans doute jamais vu. L'histoire de la viticulture est marquée par une lutte incessante contre les mauvaises herbes, dans laquelle les vignerons consumaient l'essentiel de leur temps. Mais avec les tondeuses et les herbicides, ils ont contrôlé leur développement. Ils ont ainsi pu laisser se développer des gazons qui limitent la puissance des ceps sans les étouffer.A cette occasion, on s'est aperçu d'un rôle méconnu de l'azote : en réduisant les disponibilités en ce nutriment, les graminées freinent la vigueur de la vigne. Mais, dans les cas extrêmes, elles induisent un ralentissement de la fermentation car les levures peinent dans les moûts appauvris en azote. Il faut alors revoir à la hausse les normes de fertilisation. L'éclaircissage, dernière technique apparue pour limiter les excès de rendements, est sans doute celle qui choquerait le plus les anciens. Couper du raisin pour favoriser celui qui reste : ils ne l'auraient pas admis. Ils avaient pris le parti de rationner les vignes.

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