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La vigne, une passion... française

La vigne - n°98 - avril 1999 - page 0

A partir de méthodes et de cépages importés, les deux grands noms du vin indien, Grover et Indage, ont développé un savoir-faire original et conquis les nouvelles classes aisées. Ce sont les vins français qui les ont inspirés.

Une même persévérance anime ces deux concurrents. Kanval Grover, industriel spécialisé dans la haute technologie, découvre les crus français lors de ses voyages pour Arianespace et décide de produire, en Inde, un vin de qualité. Dans ce pays immense, peuplé de près d'un milliard d'habitants, un principe veut en effet que l'on pratique toutes les compétences afin de ne pas dépendre des autres pays. En 1982, Kanval Grover rencontre Georges Vesselle, responsable des vignobles Mumm (Champagne). Les deux hommes parcourent l'Inde, collectent les informations climatiques et pédologiques disponibles.En climat tropical, la vigne pousse en permanence, sans repos hivernal. La production peut atteindre 100 tonnes (t) de raisin à l'hectare, mais cet apparent ' record mondial ' concerne seulement les variétés de raisin de table, parfois transformées en vin doux par quelques viticulteurs opiniâtres. Les deux hommes localisent au Cachemire (nord du pays) des conditions favorables à la culture de la vigne mais dans cet Etat, la religion interdit l'alcool... C'est alors que dans différents endroits du Maharastra et à Bangalore (sud du pays), une trentaine de variétés de Vitis vinifera sont plantées à titre expérimental. Tous les six mois, un assistant de Georges Vesselle récolte les raisins, les presse et apporte leur jus en France. En 1989, le site de Bangalore est définitivement choisi. En 1992, Grover introduit sur le marché indien un vin rouge : 75 % de cabernet sauvignon et 25 % de clairette du Languedoc. En 1996, Veuve Cliquot acquiert 20 % des parts de la société et envoie en Inde son encadrement technique. Aujourd'hui, Kanval Grover et son fils Kapil dirigent un vignoble de 40 ha où travaillent une cinquantaine d'employés, sous les conseils de Bruno Yvon, oenologue français qui semble définitivement décidé à s'installer en Inde.L'irrigation s'effectue au goutte-à-goutte. La vendange d'avril (à la fin de l'été tropical) offre l'essentiel de la récolte. En octobre, après la saison des pluies, une seconde vendange fournit des raisins peu mûrs, parfois utiles pour acidifier le vin. L'humidité favorise le mildiou que l'on traite à la bouillie bordelaise. La taille s'effectue dans le courant du mois de novembre. La cuverie en acier inoxydable et l'appareillage de mise en bouteilles sont fabriqués en Inde. En revanche, le pressoir (Vaslin) et le fouloir égrappoir viennent de France, ainsi que la boucheuse : on travaille ici avec du liège portugais et des bouteilles en verre indien. La cave est souterraine. Actuellement, le marché intérieur consomme les 250 000 bouteilles produites chaque année par Grover.' Si vous aimez quelque chose, vous avez envie de le fabriquer ', déclare Shyam Chougule, président d'Indage Ltd et puissant entrepreneur en bâtiment. L'aventure viticole d'Indage ressemble à celle de son concurrent Grover : la passion du vin découverte en France, les conseils des experts de Piper Heidsick, l'étude rationnelle des sols, de l'eau et du climat dans différents sites de l'Inde. Le choix se porte sur les plateaux calcaires du Maharastra, dont le climat ressemble à celui de la Californie, selon Shyam Chougule. Un terrain de 240 ha est retourné au bulldozer sur une profondeur de 1,20 m et nivelé. Après différents essais, les plants sont espacés de 1,60 m et les rangs séparés de 3 m. Shyam Chougule qualifie ' d'écologique ' ses vins obtenus sans produit chimique. La pourriture et le mildiou sont les principales maladies observées.Dans l'Etat du Maharastra, les vendanges commencent début février et se terminent mi-mars. Privée d'irrigation pendant un mois, la plante est taillée en avril puis en septembre. Les rendements à l'hectare avoisinent 10 t pour le chardonnay, 14 t pour le cabernet et 16 t pour l'ugni blanc. Une partie de ces vins séjourne dans des fûts de chênes américain et français. Deux cents employés permanents et des équipes de saisonniers, sous la direction d'oenologues français, produisent deux millions de bouteilles par an, dont une partie est exportée. Shyam Chougule envisage prochainement d'étendre de 1 000 ha la superficie de son vignoble.Bières et whiskies constituent l'essentiel de la consommation d'alcool en Inde. Cependant, chaque année, les whiskies frelatés provoquent des centaines de morts et la production de vin, nouvelle, occidentale et à la mode, intéresse davantage les classes aisées. Le vin traditionnel est sucré afin d'en cacher les défauts, mais aussi parce que les Indiens apprécient cette dominante. Dans leur production, Grover et Indage s'orientent vers des saveurs plus caractéristiques du vin européen et entreprennent une véritable éducation du goût des consommateurs.Ainsi, la famille Grover a organisé l'an dernier, dans un palace de Bombay, un grand événement gastronomique dont l'objectif était d'accorder les plats de la cuisine indienne avec les vins. Selon Kapil Grover, ' en Inde, les saveurs des épices sont variées et puissantes, mais la nourriture n'est pas excessivement pimentée, du moins à la maison et en ce qui concerne la cuisine du nord, mais il confie une difficulté : ces expériences gustatives nouvelles passionnent les Indiens. Cependant, ils ne peuvent pas comprendre la différence entre un cabernet produit à Bordeaux ou ailleurs; nous avons donc cessé de cultiver les huit cépages initiaux pour garder la clairette et le cabernet sauvignon. ' C'est ici qu'on produit un ' champagne ' indien.Avec ses productions aux noms charmants (' Marquise de Pompadour ', ' Vin ballet ', ' Joie ', ' Rêve d'or ', ' Célébré '), Shyam Chougule déclare couvrir 70 % des parts du marché indien. La superficie totale de ce pays serait de 43 000 ha de vigne, incluant raisins de table et de cuve, des statistiques peu fiables et souvent contradictoires. La société Indage serait le plus important producteur de vin mousseux en Asie et exporte dans de nombreux pays : Grande-Bretagne, Suède, Suisse.... Absent à l'international, son concurrent Kapil Grover envisage l'approche du marché australien.Le ' porto ' Figuera Indage se vend à 20 F la bouteille, le Riviera Indage blanc à 50 F et le Blanc de blancs Grover à 60 F. Kapil Grover explique ses tarifs : ' A qualité comparable, nous estimons qu'une bouteille de vin doit valoir le tiers d'une bouteille de whisky. La marge du revendeur et les taxes comptent pour la moitié du prix de vente au public. Les taxes varient suivant chaque Etat, qui impose ses restrictions et exige que des avertissements sur les dangers de l'alcool soient imprimés dans plusieurs langues locales; ces lois rendent la vente en Inde plus difficile que l'exportation '.Ces prix rendent inaccessibles le vin à la majorité des Indiens dont le revenu moyen ne dépasse pas 300 F par mois. Il reste néanmoins un marché de plus de cent millions de personnes dont le pouvoir d'achat équivaut à celui des Européens. Une population active, aisée, avide de changements, qui s'intéresse aux modes de vie occidentaux et constitue la nouvelle classe dominante de l'Inde.

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