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DOSSIER

Parés contre le gel

PAR MICHÈLE TRÉVOUX - La vigne - n°305 - février 2018 - page 16

La fréquence accrue des gelées pousse les viticulteurs à agir. Voici les initiatives qu'ils prennent dans les vignobles gélifs pour se prémunir contre le gel tout en tenant compte des nouvelles contraintes environnementales.

Après l'épisode de gel de l'année dernière qui a ruiné une bonne partie de la récolte française, les viticulteurs restent sur le qui-vive. Dans les régions gélives, on s'active pour éviter une nouvelle catastrophe. Dès le mois de juin dernier, la Confédération des appellations et des vignerons de Bourgogne (CAVB) lançait une étude, avec l'interprofession (BIVB) et le soutien de la région Bourgogne, pour cartographier les secteurs sensibles au gel, estimer les risques et mettre en place des moyens de lutte adaptés. De son côté, la région Pays de la Loire a instauré une aide à la lutte antigel, en subventionnant, à parité avec l'Europe, 30 % des investissements en tours antigel dans le cadre de projets collectifs.

« Les gelées fragilisent notre viticulture. Nous avons mis en place ce soutien pour sécuriser notre production viticole », explique Éric Tournon, vice-président de la Commission agriculture des Pays de la Loire.

Un dispositif similaire est déjà en place depuis 2016 dans la région voisine du Centre - Val-de-Loire qui a versé 2 millions d'euros d'aides au cours des deux dernières années pour l'installation de 187 éoliennes.

En Champagne, Basile Pauthier, du service vigne du CIVC, a multiplié les réunions pour expliquer les différents types de gelée, qui conditionnent les moyens de lutte : « La lutte contre le gel est complexe car une multitude de facteurs entrent en ligne de compte : température, humidité, vent, stade de la vigne, type de gelée... Il faut bien connaître ces données pour mettre en oeuvre des moyens efficaces. »

Alors que le sujet est complexe, la prise en compte de l'impact environnemental vient le compliquer davantage. Certains dispositifs provoquent des nuisances : les éoliennes font du bruit, les feux de paille de la fumée, les chaufferettes au fuel polluent...

« En 2017, les viticulteurs, pris de cours, ont brûlé de la paille sur plusieurs communes de Côte-d'Or. En raison de la pollution visuelle et olfactive qu'il génère, ce mode de lutte n'a pas d'avenir », confie Christine Monamy, responsable agro-météo au BIVB. Les Bourguignons doivent trouver une autre solution.

À Volnay, des vignerons se sont tournés vers les bougies. Échaudé par les gelées de 2016 et de 2017, l'ODG a proposé à ses adhérents de se grouper pour en acheter. « Jusqu'à présent, nous n'étions pas très équipés pour lutter contre le gel. Mais les deux dernières campagnes ont changé la donne. L'an dernier, comme toutes les communes de la Côte de Beaune, nous avons brûlé de la paille. Mais nous ne sommes pas sûrs que cela soit vraiment efficace. Et c'est dangereux pour la circulation routière », confie Thierry Glantenay, le président de l'ODG.

Pour une protection plus écologique, l'ODG a proposé à tous ses adhérents d'acheter des bougies « vertes », fabriquées avec de la stéarine qui, contrairement à la paraffine, ne dégage presque pas de fumée. Sept domaines ont passé une commande de 3 000 bougies. « C'est un chiffre un peu décevant. Nos adhérents ont peut-être craint les contraintes d'installation. Nous avons néanmoins obtenu une ristourne de 0,70 € par bougie », soit 8,94 € HT au lieu de 9,59 € sans remise. La commande a été passée début janvier, juste à temps pour une livraison avant les premières gelées.

En Champagne, la maison Taittinger a mis toutes ses chaufferettes au rancart, les jugeant trop polluantes. À la suite des deux dernières années de gel qui lui ont coûté des pertes de récolte, elle va tester cette année différents moyens qu'elle a jugés moins préjudiciables pour l'environnement comme les dispositifs éoliens ou les fils chauffants. Elle va également s'intéresser à des techniques utilisées en dehors de l'Europe : extracteur d'air froid, Heat Ranger (voir l'encadré ci-dessous).

Dans cette région, l'aspersion est le moyen de lutte le plus utilisé. Là encore, les vignerons sont invités à la vigilance. Le CIVC travaille avec la DDT sur une charte de bonnes pratiques de l'aspersion afin de limiter son impact sur la pollution des eaux et l'érosion. Ces organismes conseillent de ne pas apporter d'engrais et de ne pas désherber avant la période de gel. Pour protéger les sols, ils préconisent d'enherber les parcelles.

Malgré tous ces freins techniques, environnementaux et économiques - la lutte coûte cher -, les viticulteurs s'équipent. Les fabricants en témoignent. Cette année, la société Filextra, qui commercialise des tours antigel, a été submergée de demandes. Dès le 31 août, elle avait bouclé son carnet de commandes pour la mise en oeuvre de tours avant les gelées de 2018. Elle installera cette année 148 tours (toutes productions confondues) contre 77 l'an dernier. L'offensive vigneronne contre le gel monte en puissance. n

Des vignes plus vulnérables avec le travail du sol

Des vignes plus vulnérables avec le travail du sol

Une protection à 24 000 €/ha

Le kit d'Alto'gel comprend une armoire électrique, des raccordements, des câbles araignée pour relier les fils à l'armoire, une sonde de température et les fils chauffants. Il faut compter 24 000 €/ha pour protéger une vigne plantée à 9 500 pieds/ha. Sans oublier bien sûr le groupe électrogène pour produire l'électricité. Vincent Phlipaux évalue que ce groupe consomme entre 25 et 30 l de GNR par heure et par hectare, soit 120 à 140 €/ha pour 7 heures de chauffage. Hors de prix ces fils chauffants ? Vincent Phlipaux s'en défend et rétorque que les systèmes précédents coûtaient 35 000 €/ha. « La protection avec les bougies est plus coûteuse. À 9 €/pièce, sachant qu'il en faut 500 par ha, on arrive à 4 500 € par ha et par nuit. L'an dernier, il a fallu chauffer six à sept nuits, soit un coût de 27 000 à 31 500 €/ha. Je suis submergé de demandes. Je ne pourrai pas les satisfaire toutes cette année. »

Deux protections venues du Nouveau Monde

Conçu en Nouvelle-Zélande, Heat Ranger est une sorte d'immense sèche-cheveux que l'on pose dans les vignes. Dotée d'un brûleur d'une puissance de 1 400 kW et d'un ventilateur industriel à sa base, cette machine expulse de l'air chaud (entre 30 et 32 °C) par son énorme bouche placée à 5 m de haut. Comme ce diffuseur tourne sur lui-même, la machine protège un grand secteur autour d'elle : de 10 à 20 ha assure le fabricant. Un dispositif fabriqué à Prague va être testé cette année dans les vignobles d'Europe.

Fabriqué en Amérique du sud, le SIS (Selective Inverted Sink) fonctionne à l'envers des tours antigel connues en France, qui rabattent l'air chaud vers le sol. Au contraire, un immense ventilateur confinée dans un carter aspire l'air froid tombé au sol pour le renvoyer de 50 à 100 m de hauteur. L'entreprise annonce que son système protège plus de cent vignobles du Nouveau Monde où il empêche l'accumulation d'air froid lors des nuits de gel. Des essais vont être menés pour la première fois cette année en Europe, dans le vignoble anglais.

Le Point de vue de

« Je relance les fils chauffants »

Vincent Phlipaux, vigneron aux Riceys, dans l'Aube PHOTOS : C. FAIMALI/GFA

Vincent Phlipaux, vigneron aux Riceys, dans l'Aube PHOTOS : C. FAIMALI/GFA

Ce Champenois lance une nouvelle génération de fils chauffants, moins chers et moins sujets au vandalisme que les précédents. Mais l'investissement reste lourd.

Installé depuis sept ans aux Riceys, Vincent Phlipaux a connu cinq années de gel. Lassé des chaufferettes polluantes, il s'est intéressé aux fils chauffants, un système utilisé par le passé mais délaissé car très coûteux et sujet au vandalisme. Pour le vigneron champenois, ces fils ont néanmoins des atouts : ils sont efficaces, non polluants et utilisables quelles que soient la taille et la pente des parcelles.

Restait à trouver comment sécuriser les installations et à diminuer les coûts. Deux tâches auxquelles s'est attelé Vincent Phlipaux, qui au cours de ses études a un peu abordé l'électromécanique. En décembre 2017, il dépose ainsi un brevet pour son système Alto'gel qu'il commercialise depuis cette année.

En 2017, Vincent Phlipaux a subi six nuits de gel dont une à - 6 °C. « Dans les parcelles protégées par mes fils chauffants d'une puissance de 15 W, j'ai compté 18 grappes/m2 aux vendanges alors que je n'avais que 3 grappes/m2 dans la parcelle témoin non chauffée », assure-t-il.

Ses fils s'attachent au fil porteur du palissage. Ils conviennent pour les vignes taillées en Guyot à plat ou en cordon de Royat, mais pas à celles taillées en Chablis, un mode de conduite que l'on trouve fréquemment en Champagne.

Les fils dégagent de 11 à 15 W au mètre linéaire, selon les modèles. Grâce à la chaleur qu'ils produisent, ils protègent les bourgeons et les feuilles sur un diamètre de 10 à 15 cm alentour. Mais ils protègent également des feuilles plus éloignées en réchauffant le bois et la sève qui circule dans les ceps. Autre avantage : « Si on ne veut protéger que le bas d'une parcelle, par exemple, c'est possible. »

Au bout de chaque fil, il y a une prise étanche que l'on raccorde par un système de câbles en araignée à une armoire électrique. Pour limiter les risques de vandalisme, seul le fil chauffant reste dans la vigne. Les autres éléments (boîtiers de branchement et de commandes, liaisons froides, sonde de température) ne sont installés que durant la période de gel.

Vincent Phlipaux en convient : la présence des fils dans la vigne rend la taille plus délicate. Mais si on en sectionne un à cause d'un coup de sécateur malheureux, pas d'inquiétude, l'inventeur a prévu un kit de réparation.

Le Point de vue de

« Ma priorité, c'est la réco lte »

Sébastien Treuillet, vigneron sur 15 ha, notam  ment en appellation Pouilly-Fumé, à Tracy-sur-Loire, dans la Nièvre

Sébastien Treuillet, vigneron sur 15 ha, notam ment en appellation Pouilly-Fumé, à Tracy-sur-Loire, dans la Nièvre

Sébastien Treuillet est bardé. Ce vigneron de pouilly-fumé est installé depuis 1995 sur 15 ha de vigne dans un secteur très gélif de Tracy-sur-Loire. « Je vends tous mes vins en bouteille. Ma priorité, c'est de produire, pas d'être dédommagé par une assurance », argumente-t-il. L'an dernier, il a réalisé deux investissements qui lui ont rendu d'énormes services : une tour antigel et un diffuseur d'air chaud. Sa nouvelle tour (Gyromass) est animée par la prise de force d'un tracteur. Elle couvre 4 ha, complétant un investissement antérieur réalisé en Cuma, qui protège 0,8 ha. Elle lui a donné toute satisfaction lors de la dernière campagne. « Mais quand la température tombe à - 5 ou - 6 °C, c'est insuffisant. Il faut apporter de la chaleur. Pour cela, j'allume des bougies en bordure de l'îlot. » Comme il a épuisé son stock, le vigneron a refait le plein de bougies. Il en a commandé cinq palettes, soit environ 1 000 pièces. En cas de nécessité, il s'en servira aussi dans un petit parcellaire très morcelé. « Je mets une bonne ceinture autour de ces parcelles et, à l'intérieur, je pose une bougie tous les cinq pieds et tous les six rangs. Je les allume dès qu'il fait 1,5 à 2 °C et qu'un risque de gel est annoncé. » Dans une autre partie du vignoble, c'est un FrostGuard qui veille. Alimenté par cinq bouteilles de gaz, l'appareil se place au milieu d'une vigne où il propulse de l'air à 80 °C sur une distance de 60 m. « Il couvre 1 ha. Il a bien fonctionné l'an dernier, malgré des températures de -6 °C. Je n'ai eu aucun dégâts dans la parcelle protégée alors que la parcelle d'à côté n'a pas donné de récolte. Je vais m'équiper d'un autre appareil cette année », confie-t-il, alors qu'il protège près de 70 % de son vignoble, en combinant ces différents systèmes. Une protection qui a un coût : 26 000 € la tour, 8 900 € le FrostGuard et de 7 à 9 € la bougie, selon les fournisseurs. « Si je ne fais rien et qu'il n'y a pas de récolte, c'est 150 000 € de perte sans compter le mécontentement de ma clientèle. Le calcul est vite fait. »

Le Point de vue de

« Débuter la protection au bon moment »

Philippe Pitault, vigneron sur 30 ha - dont la moitié protégée contre le gel -, à Saint-Nicolas-de-Bourgueil, en Indre-et-Loire

Philippe Pitault, vigneron sur 30 ha - dont la moitié protégée contre le gel -, à Saint-Nicolas-de-Bourgueil, en Indre-et-Loire

ÀSaint-Nicolas-de-Bourgueil, Philippe Pitault a déployé les grands moyens pour protéger son vignoble. Dès 1998, il a installé sa première éolienne. Puis il a étendu la protection par un système d'aspersion collectif et une éolienne collective, elle aussi. Pour finir, il a acheté un diffuseur d'air chaud FrostGuard et des bougies dans les parcelles où aucun autre moyen n'était possible. Cette année, ces dispositifs couvrent 13 ha et, dès l'an prochain, ils couvriront 15 ha, soit 50 % de son vignoble. « Ces procédés imposent une surveillance très précise de la température pour débuter la protection au bon moment. C'est particulièrement vrai avec l'aspersion où une mise en route trop tardive peut aggraver les dégâts provoqués par le gel », confie le vigneron. En 2017, afin d'être alerté à temps lorsqu'une chute des températures survient, il se met en quête d'une station météo connectée. Son choix se porte sur Sencrop en raison de son prix très attractif pour ses fonctionnalités. Celle-ci est vendue 300 € HT avec un abonnement de 150 € par an. Elle mesure la pluviométrie, l'hygrométrie et la température en temps réel, données qui sont consultables depuis un smartphone, une tablette ou un PC. Elle envoie des alertes quand la température descend en dessous d'un seuil déterminé à l'avance. Pour des prises de décision concertées, le propriétaire de la station peut ajouter ses salariés ou ses voisins dans la liste des destinataires des alertes. L'historique des données météo est accessible à tout moment pour la traçabilité ou la comparaison d'une année sur l'autre. « À Bourgueil, nous avons été les premiers viticulteurs clients de Sencrop. On les a aidés à perfectionner leur matériel en leur demandant de mesurer la température humide, qui est la donnée la plus importante pour le gel », explique Philippe Pitault. La station a parfaitement fonctionné pour sa première année d'utilisation. « On a pu déclencher nos dispositifs antigel à temps. L'an dernier, même lors de la dernière nuit de gel - qui n'avait pas été annoncée par la météo -, on a eu une alerte à minuit car la température était tombée à 1 °C et on a pu intervenir. »

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