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VIGNE

Des châteaux taillent dans les maux

COLETTE GOINÈRE - La vigne - n°295 - mars 2017 - page 40

Une poignée de châteaux en Gironde offrent une formation à leurs salariés pour prévenir et soulager les troubles musculo-squelettiques. Les résultats sont au rendez-vous.
AU CHÂTEAU PALMER, c'est l'heure de la séance de gym pour les salariés. Au menu, renforcement musculaire des abdominaux et des grands dorsaux. PHOTO : C. GOINÈRE

AU CHÂTEAU PALMER, c'est l'heure de la séance de gym pour les salariés. Au menu, renforcement musculaire des abdominaux et des grands dorsaux. PHOTO : C. GOINÈRE

IL EST 7H30 au château de Beychevelle. Valérie, André et Alain, vignerons, entament des exercices de réveil musculaire dans l'atelier.  PHOTO : C. GOINÈRE

IL EST 7H30 au château de Beychevelle. Valérie, André et Alain, vignerons, entament des exercices de réveil musculaire dans l'atelier. PHOTO : C. GOINÈRE

Il est 7 h 30, un matin de février dans l'atelier du château Beychevelle, en Gironde. Au beau milieu du matériel viticole, les bras moulinent. C'est parti pour un quart d'heure d'exercices avec des échauffements de la nuque, des épaules, des poignets, du dos et des membres inférieurs. Un réveil musculaire que Valérie, André, Alain, des vignerons, et David, le chef de culture, ne rateraient pour rien au monde. « Ces exercices me font du bien. Ma douleur entre les omoplates a disparu », confie Alain, 57 ans, dans l'entreprise depuis quarante ans.

Valérie, 47 ans, douze ans d'ancienneté, apprécie cet échauffement quotidien auquel s'ajoutent deux séances par semaine de 45 minutes de renforcement musculaire. Pas question d'y renoncer même si elle doit affronter les quolibets de ses collègues. « Certains se moquent de nous. Ils estiment que c'est du temps perdu, alors qu'ils se plaignent tous du mal de dos. Mais ils pensent qu'on ne peut rien faire. Ça me décourage de les entendre. Mais je continue. »

De fait, cette formation à la prévention et au soulagement des troubles musculo-squelettiques (TMS) n'est pas un pari gagné au domaine. Sur les 52 salariés, 30 travaillent au vignoble. Seulement six de ces ouvriers suivent la formation. Et dans le service administratif, aucun ne s'est porté volontaire. Bref, un bilan mi-figue mi-raisin.

Les raisons ? Le directeur, Philippe Blanc, qui a initié cette démarche il y a quatre ans, avance notamment une pyramide des âges élevée, les plus anciens ne voyant pas l'intérêt de ces exercices ou craignant le ridicule. « La motivation doit venir de chaque individu. Les TMS sont là. Il faut continuer cette formation. Je ne suis ni déçu ni surpris », indique-t-il.

Un stage financé par le Fafsea

La formation dure 85 heures, de novembre à fin avril. Mise au point par Romain Balaguier, du laboratoire Ageis de l'Université de Grenoble, elle est dispensée dans sept châteaux girondins cette année et suivie par 85 salariés. Le coût pédagogique par stagiaire est de 1 275 € - financés par le Fafsea - auxquels s'ajoute la rémunération du temps passé en formation qui est à la charge des domaines.

11 h 45, au château Labégorce, à Margaux, c'est l'heure du renforcement musculaire. Il s'agit de solliciter les muscles profonds, de gainer le bas du dos, les grands dorsaux, sans oublier les abdos. Ici, le stage a débuté il y a deux ans et rencontre plus de succès qu'à Beychevelle. Une dizaine de vignerons sur seize la suit. Et, cette année, elle a été ouverte au personnel administratif, d'entretien et du chai. « Les salariés adhèrent à ce programme parce que nous avons instauré un vrai dialogue avec eux. Chacun a compris que cela réduisait les douleurs et créait de nouveaux liens entre les salariés », explique Marjolaine de Coninck, directrice générale.

13 h 15 à Margaux, dans une des très belles salles lambrissées du château Palmer, c'est aussi l'heure du renforcement musculaire. Sept salariés sur les dix employés à la vigne sont présents. Entre éclats de rire et motivation affichée, on installe les tapis. Émilie, 25 ans, en charge des 80 brebis de la propriété et ouvrière viticole depuis deux ans, ne rate aucun exercice : « Je fais de la prévention car je vois bien que les autres ont très mal au dos. Certains sont complètement cassés. »

Nathalie, 46 ans, vigneronne, onze ans d'ancienneté, l'avoue : « On travaille très dur et on nous demande toujours plus. Ces exercices nous aident. » Chantal, 45 ans, depuis treize ans dans la propriété, lance dans un sourire : « Ce qui me botte, c'est mon évolution. En janvier, j'avais le coude et le dos noué. Aujourd'hui, je n'ai plus mal au dos. »

Des résultats perceptibles

17 h 15 : à Saint-Laurent-du-Médoc, au château Larose Trintaudon, la séance débute. Sur 34 vignerons, une douzaine sont présents. Josette, 51 ans, embauchée en 1989, est une inconditionnelle. « Mes douleurs sont moins lancinantes. Et on apprend à mieux connaître les autres. On se découvre différemment », raconte-t-elle. Reste que son salaire est abondé par des primes qui dépendent de son rendement. Et de lâcher : « C'est contradictoire avec la prévention des TMS. »

La pérennité du financement de cette formation est posée. « La Gironde est le département où il y a le plus de TMS. Les organismes qui nous aident financièrement doivent comprendre que cette formation doit être pérennisée », insiste Marjolaine de Coninck.

Une formation adaptée au travail de la vigne

La formation « Mieux être au quotidien et au travail par des activités physiques adaptées » a été mise sur pied par Romain Balaguier, doctorant du laboratoire Ageis de l'Université de Grenoble sous la houlette de Nicolas Vuillerme. Le concept ? Proposer des exercices en lien direct avec les postures adoptées dans la vigne ou dans les bureaux et évaluer scientifiquement les progrès enregistrés par les participants. Pour ce faire, Romain Balaguier effectue un diagnostic d'une heure par salarié pris sur le temps de travail avant le démarrage de la formation. Il mesure leur souplesse, l'endurance du dos, des abdominaux... Puis il leur soumet un questionnaire sur leur qualité de vie, leur santé physique et mentale. Enfin, il effectue des mesures liées à la douleur perçue par les ouvriers. « Nous avons développé une méthodologie avec l'université danoise d'Aalborg, qui permet de visualiser l'état du dos, des muscles lombaires à l'instant "t" », détaille-t-il. Après dix semaines de formation, les salariés se soumettent à la même batterie de mesures. Bilan ? « Une diminution de l'intensité des douleurs et de leur durée. De même, les facteurs de risque baissent et la souplesse et l'endurance augmentent. Conséquence : le nombre d'arrêts de travail décroît. Et la qualité de vie personnelle et au travail s'améliore », assure-t-il.

Quand le service administratif s'y met aussi

C'est une pause dans l'après-midi au château Larose Trintaudon. Deux fois par semaine, sous la houlette d'un formateur, une dizaine de salariés sur les 14 que compte le service administratif se retrouve dans un bureau pour 15 minutes d'étirement et de mobilisation articulaire. L'atmosphère est détendue. Assis en rond, chacun s'applique, décrit des cercles avec sa tête, soulève et relâche ses épaules. Jambes tendues, une main tente de saisir les orteils. Pas simple ! Anne, attachée commerciale, ressent les bienfaits de ces exercices : « L'énergie passe dans le corps. On se sent moins lourd, on se comprend mieux. Ici, chacun vient avec ses capacités. Il n'y a ni compétition ni jugement », lâche-t-elle. Olivier, directeur commercial, est accro : « On réalise ces exercices ensemble. Il n'y a plus de hiérarchie. Personne ne se sent en marge. Le corps et le bien-être ne peuvent pas être dissociés de l'esprit. Il faut continuer ce genre de formation. »

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