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VIGNE

Vendanges jusqu'au bout de la nuit

Martin Caillon - La vigne - n°245 - septembre 2012 - page 30

Les vendanges de nuit se développent pour récolter à la fraîche. « La Vigne » a suivi deux chauffeurs entre minuit trente et sept heures du matin. Pour eux, tout est plus compliqué.
L'ENTREPRISE TRAVAUX AGRICOLES SALANQUAIS vendange 400 ha de vignes à la machine autour de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales). Les cépages destinés à la production de blancs et rosés sont récoltés la nuit. PHOTOS G. BARTOLI

L'ENTREPRISE TRAVAUX AGRICOLES SALANQUAIS vendange 400 ha de vignes à la machine autour de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales). Les cépages destinés à la production de blancs et rosés sont récoltés la nuit. PHOTOS G. BARTOLI

LOÏC GIRBEAU travaille en tee-shirt en plein air à 4 heures du matin. Les nuits de vendanges ne seront pas toutes aussi douces.

LOÏC GIRBEAU travaille en tee-shirt en plein air à 4 heures du matin. Les nuits de vendanges ne seront pas toutes aussi douces.

Il est minuit trente ce 25 août à Saint-Hippolyte (Pyrénées-Orientales), dans le Roussillon. Loïc Girbeau rompt le charme d'une nuit douce et étoilée en démarrant sa machine à vendanger. Salarié saisonnier de l'entreprise Travaux agricoles Salanquais que dirigent ses parents, Loïc enfile un gilet fluo, allume les feux, enclenche le gyrophare, puis met le cap au sud, vers la commune voisine de Pia.

Pas âme qui vive à cette heure en traversant le bourg de Clairac ou sur le pont franchissant l'Agly. Mais un peu plus loin, Joseph Sisquet veille. À 84 ans, il attend l'arrivée de la machine au coin de sa petite parcelle de 25 ares. Loïc Girbeau met en action les tapis, les extracteurs et les secoueurs, puis fait un essai sur vingt mètres. Il descend ensuite contrôler le travail, lampe de poche en main. Cette année, il n'est pas permis de laisser le moindre raisin sur les souches. La récolte s'annonce de 30 à 40 % inférieure à celle de l'an passé.

Loïc est au volant d'une Braud SB 55 sans cabine, une machine âgée de dix ans, de petit gabarit, avec son éclairage d'origine. En 25 minutes, il vendange les dix rangs de chardonnay en prenant moult précautions en bout de rangs pour éviter les branches de figuiers qu'il aperçoit plus qu'il ne voit et pour vider la vendange dans la remorque, ébloui par le gyrophare du tracteur.

« Il est facile d'oublier de vendanger un rang »

Car la nuit, tout est plus compliqué. On perd ses repères. C'est la raison pour laquelle le rendez-vous est pris en bordure de route chez le client suivant, à Rivesaltes. Dans le secteur, le vignoble est si morcelé que le chauffeur de la machine à vendanger préfère suivre le tractoriste pour atteindre la parcelle perdue au milieu d'un labyrinthe.

« Il m'arrive parfois de me demander où je suis », confesse Michel, son collègue, qui vendange une parcelle de macabeu sur la commune de Salses. Lui pilote une New Holland VL 620, plus encombrante mais aussi plus récente. Il avance tout de même lentement, à 3,3 km/h, dans les gobelets.

Les feux de travail, plus performants, offrent une bonne visibilité sur le rang comme sur la rangée de peupliers qui attend Michel au tournant. Aussi puissants soient-ils, ils ne permettent cependant pas de voir comme en plein jour. « Il est facile d'oublier de vendanger un rang », admet Michel, qui se sent un peu comme dans une bulle à l'intérieur de la cabine climatisée. « J'ai un peu l'impression de travailler dans une mine avec une lampe frontale », plaisante-t-il.

Michel a 59 ans et ne boude pas son plaisir de travailler protégé du bruit dans une cabine. Mais il goûte assez peu le travail de nuit. « Je suis décalé par rapport à la vie de famille. Cet après-midi, j'essaierai de dormir quand les enfants seront à la plage. Les vendanges de nuit se justifient sur le plan technique, mais elles n'ont aucun intérêt sur le plan personnel. »

Un avis qui tranche avec celui de Loïc, 28 ans, qui « préfère cent fois travailler la nuit, casque sur les oreilles, en écoutant de la musique. Je travaille au frais, c'est plus agréable », remarque-t-il. Il veut sans doute dire qu'il fait moins chaud. En effet, le thermomètre indique encore 24° C à quatre heures du matin quand il arrive chez le troisième client, à deux pas de la coopérative de Rivesaltes. C'est l'heure de sortir le Thermos pour la pause-café, meilleur antidote pour lutter contre le sommeil. « Surtout entre 6 et 9 heures », précise Loïc. Une fois, il s'est endormi au volant. « J'ai traversé trois rangs en travers avant de me réveiller. »

Une nuit de plus sans pépins mécaniques

À 6 h 30, le jour se lève avec le vent marin. Mais il n'apporte pas l'habituelle rosée du matin. Inconsciemment, les deux chauffeurs se réjouissent d'avoir passé une nuit de plus sans pépins mécaniques. Gilles Girbeau, qui gère l'entreprise et s'occupe de l'entretien des quatre machines avant et pendant les vendanges, ne s'en cache pas : il préférerait travailler le jour. « Ce sont les caves qui nous imposent de travailler la nuit », explique-il. Par expérience, il sait qu'une panne la nuit signifie au mieux une perte de temps supplémentaire, au pire l'arrêt de la machine jusqu'à l'aube ou jusqu'à l'arrivée du mécanicien. Heureusement, aucune machine n'a connu d'avarie depuis la première nuit de travail le 13 août. À Rivesaltes, la récolte des blancs et rosés dure une quinzaine de nuits. Elle se poursuit par les rouges, vendangés jour et nuit.

La nuit mise en bouteille

La coopérative Vignobles Dom Brial, située à Baixas (Pyrénées-Orientales), organise chaque année une vendange manuelle au clair de lune. L'édition 2012 s'est tenue dans la nuit du 24 au 25 août, « avec une semaine d'avance », indique Xavier Poncet, responsable des caveaux de ventes de Dom Brial. Sécateur en main et lampe frontale braquée sur les grappes de chardonnay, quatre-vingts personnes étaient présentes. Parmi elles, une majorité de clients et de touristes encadrés par une dizaine de vignerons. De 5 heures jusqu'au petit matin, l'équipe de vendangeurs a ramassé douze tonnes de chardonnay à 12,5 degrés. Ainsi s'élabore la cuvée spéciale Vin de Mi-nuit. Dom Brial en commercialise 10 000 bouteilles en primeur et 30 000 en vin classique, à 5 euros le col. La cuvée Mi-nuit devrait avoir un bouquet d'agrumes et de fleurs blanches, nous promet-on.

Des nocturnes programmées par les caves

En matière de vendanges nocturnes, ce sont les caves qui donnent le tempo. Elles établissent un planning des apports par nuit et par cépage qu'elles distribuent à leurs adhérents. Ces derniers inscrivent leurs parcelles 48 heures à l'avance. « Les grosses caves réservent en général le créneau 4-10 heures aux raisins destinés à la production de vins blancs ou rosés vendangés à la machine. La nôtre, plus petite, ne reçoit qu'à partir de 8 heures, explique Ghislaine Girbeau, présidente de la cave coopérative des Vignerons de Saint-Hippolyte et associée de l'entreprise Travaux agricoles Salanquais. Nos machines à vendanger doivent travailler en coordination avec l'ensemble des caves du secteur. » Les vendanges de nuit présentent un double intérêt pour les caves. La récolte de raisins frais réduit les frigories nécessaires au refroidissement des moûts et permet de limiter l'engorgement ainsi que les délais d'attente au conquet grâce à l'étalement des apports

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