HABILLAGE. Charles Pérez a dédié chacun de ses vins à un membre de sa famille, croqué sur l'étiquette par un dessinateur qui change tous les ans. PHOTOS P. PARROT
« À 33 ans, je n'en suis pas encore à faire le bilan. C'est juste le début de l'aventure ! » lance Charles Pérez, vigneron au Mas Bécha, à Nyls, dans les Pyrénées-Orientales. En 2002, il a accepté de reprendre le domaine que son père avait acheté en 1997. « J'ai fait un bac pro suivi d'un BTS viti-œno et d'un an de stages. Mais je ne connaissais pas la réalité de cette entreprise », raconte-t-il.
La famille qui avait bâti l'exploitation avait fait fortune avec des vins doux naturels vendus en vrac, mais ce modèle était déjà sur le déclin. Le domaine comptait 110 ha de vignes, conduites en gobelet et vendangées à la main, huit permanents ainsi qu'un grand bâtiment abritant 8 500 hl de cuves en béton et en résine de 300 à 500 hl. « C'était un dinosaure », commente avec humour Charles Pérez.
Son père avait amorcé une nouvelle orientation en arrachant 13 ha de grenache blanc et de macabeu pour planter de la syrah et du mourvèdre. Il voulait produire des vins secs en côtes-du-roussillon. Charles Pérez a développé cette voie en repartant du terroir et de la vigne.
« J'ai réalisé des sélections parcellaires. La plupart des grenaches se sont révélés décevants. Le clone 80, planté dans les années soixante-dix, était trop productif. Les syrahs, en revanche, ont donné des cuvées magnifiques. » Il a commencé à vendre ces vins en bouteille et a conquis ses premiers marchés à l'export. Mais ce qu'il gagnait là, il le perdait sur les vins doux naturels.
Un virage radical
En 2006, il arrache les vignes les moins rentables, tout en se demandant ce qu'il pourrait faire des autres. À cette époque, il avait déjà des débouchés pour 50 000 cols de vins secs. Monter à 400 000 cols pour tout vendre en bouteille risquait de prendre trop de temps. « Mon père me soutenait financièrement, mais je ne pouvais pas continuer à accumuler les pertes et les stocks », relève-t-il. En 2007 et 2008, il continue à arracher pour réduire la voilure. En 2009, il finit par arrêter une stratégie. « J'ai décidé de me concentrer sur les 25 ha qui produisent les styles de vins que je désire, avec un objectif de vente de 150 000 cols, et d'arracher tout le reste. »
Dans le même temps, le jeune homme s'est engagé dans une conversion au bio. « Je n'en attends pas de plus-value. C'est la qualité du vin qui détermine son prix. Mais dans quelques années, le bio sera devenu une norme pour viser le haut de gamme. » En 2010, sur les dix derniers hectares promis à l'arrachage, il expérimente la sous-traitance. Des entreprises et un groupement d'employeurs réalisent en prestation tous les travaux dans les vignes, suivant un cahier des charges qu'il établit. « J'ai réduit les coûts de 30 %. J'ai alors décidé de licencier mes derniers permanents et de vendre tout mon matériel de culture », explique-t-il. En 2011, il se concentre sur la vinification, l'assemblage et la vente. « C'est là que je peux apporter une plus-value. »
Aujourd'hui , Char les Pérez vend 110 000 cols et de 100 à 250 hl de vrac, prélevés dans son stock de 1 000 hl de vins doux naturels. La gamme en bouteille compte sept vins, trois côtes-du-roussillon rouge et un rosé, un IGP pays d'Oc blanc élevé en barrique, un muscat de rivesaltes et un rivesaltes grenat.
L'export, avec 85 % des débouchés, occupe la première place. « Je me suis lancé dès 2005 sur le marché chinois. J'y ai réalisé jusqu'à 30 % de mon chiffre d'affaires, puis je suis redescendu à 10 %, mais avec de meilleures marges. Et je me suis développé sur l'Allemagne, le Japon, le Danemark et le Canada », précise le viticulteur.
Pour trouver des distributeurs dans ces pays, il s'est déplacé jusqu'à 110 jours par an. Ce n'était pas pour lui déplaire. « J'aime les rencontres et les échanges. J'apprends au contact des autres », affirme Charles Pérez, qui a un talent certain pour les langues. En plus de l'espagnol et de l'anglais, il se débrouille en allemand et en chinois. Il compte bien continuer à voyager et à découvrir des marchés.
À court terme, c'est en France qu'il va s'investir. « J'aménage une bergerie du XIVe siècle située juste à côté de la cave pour y installer des bureaux et un caveau. En 2010, j'ai enfin réussi à couvrir les frais, mais l'équilibre reste fragile. Il me manque un volet vente directe au consommateur. »
Charles Pérez investit aussi dans l'irrigation. Ces dernières années, son rendement moyen s'est établi entre 30 et 35 hl/ha. Il va équiper 13 ha en goutte-à-goutte. « Sur ces parcellles, je veux remonter à 45 hl/ha en évitant les stress hydriques qui nuisent à la qualité. »
D'autres projets sont en préparation. Dans trois ans, l'amortissement de l'achat du domaine sera achevé. Charles Pérez, qui en est propriétaire depuis 2008, retrouvera alors de la marge de manœuvre. « Avec l'aide de ma sœur paysagiste, je réfléchis à l'aménagement des terres qui ne sont plus cultivées. Je veux reboiser et recréer des bosquets pour entourer les vignes cultivées en bio. Et j'aimerais développer l'œnotourisme. Je n'utilise plus qu'une petite partie de la cave, la place ne manque pas ! »
Et si c'était à refaire ? « J'arracherais peut-être plus vite »
« J'ai essayé pendant plusieurs années de valoriser des vins doux naturels en vrac à un moment où les cours ne couvraient plus les frais. Si j'avais changé de stratégie et arraché plus vite, j'aurais pu investir l'argent que j'ai mis à couvrir les pertes dans la communication ou dans le développement d'un projet œnotouristique. Mais je n'avais pas de repères sur lesquels m'appuyer. J'ai pris le temps de découvrir la réalité de l'entreprise, de cerner le potentiel des parcelles et d'évaluer les marchés. J'ai observé, analysé les résultats et testé des alternatives avant de prendre des décisions. »