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Un cépage sauvé du marc

La vigne - n°130 - mars 2002 - page 0

A l'heure où les AOC n'acceptent plus de nouvelles variétés, Léon Brunel milite pour la reconnaissance de son plant né à côté de sa cave. Petite leçon d'observation et de patience.

C'est souvent à la suite d'une période difficile que naissent de beaux projets. Pour Léon Brunel, viticulteur et pépiniériste retraité à Saint-Remèze (Ardèche méridionale), le point de départ fut le gel de 1956. Trois semaines de températures inférieures à - 15°C eurent raison des cultures de sa petite exploitation. L'idée de se spécialiser en viticulture faisait déjà son chemin depuis quelque temps ; elle s'imposa alors. Conscient d'être dans une région isolée d'un point de vue viticole, Léon Brunel sait qu'il ne doit compter que sur lui-même pour améliorer la qualité de ses vins. Son objectif : participer à la recherche de cépages nobles, compatibles avec le terroir de son exploitation.

Il met 60 ares à la disposition des organismes de recherche qui lui confient la gestion des essais de cinq cépages. Le grenache, la syrah, le cinsault droit et le cinsault vrai ainsi que la dame noire vont ainsi être cultivés sur trois sols différents. Cinq porte-greffes sont également testés : 41 B, 110 R, 3309, 504 et Rupestris du Lot. Chaque petit carré comprend 28 pieds d'un même cépage planté sur un même porte-greffe, ce qui génère 75 pesées différentes et 75 vinifications séparées à sur- veiller, le tout bénévolement. Les résultats ne se font pas attendre : la dame noire n'est pas adaptée à la région. Autre constat qui fait la renommée de cette parcelle d'essai unique dans le Midi, il existe un clone de syrah productif à partir des yeux de la base et ayant un port droit. La culture traditionnelle en gobelet devient donc envisageable. A cette époque, les vignerons se détournaient de ce cépage car les anciens plants de syrah n'étaient productifs qu'à partir du troisième oeil, ce qui supposait une culture palissée.
Ce sens de l'observation et ce goût de la sélection ont conduit Léon Brunel à repérer un plant de vigne, poussé entre le ciment de son chai et le rocher contigu, en 1982. ' Autour de la cave, il est fréquent que des plants poussent à partir des graines contenues dans les marcs , explique Léon Brunel. En général, ces plants vivent quatre mois. Celui-ci a résisté. La première année, je n'y ai pas prêté attention. La seconde année, je l'ai taillé et j'ai goûté son raisin qui m'est apparu doux. La troisième année, j'ai installé une treille et j'ai récolté les quelques grappes dont le jus titrait à 13°5. ' Motivé par ces éléments encourageants, Léon Brunel passe à la vitesse supérieure. Il ramasse des bois pour greffer des plants, qu'il met en terre en 1985 dans une parcelle de syrah. Avec sa petite récolte, il obtient un vin corsé, charpenté et coloré. Il le fait déguster à Denis Boubals, enseignant-chercheur à l'Agro de Montpellier, son ' parrain ' dans sa démarche de sélectionneur. Ce dernier organise une dégustation à Châteauneuf-du-Pape, où des producteurs verraient bien dans le plant Brunel le quatorzième cépage de l'appellation... Léon Brunel, de son côté, apprécierait de pouvoir l'introduire dans l'assemblage de ses côtes-du-vivarais, récemment promues AOC.

' Le plant Brunel s'adapte bien aux sols maigres, fatigués après des replantations , détaille Léon Brunel. Productif et vigoureux, il doit être taillé court et a besoin d'un sol pauvre pour tempérer ses ardeurs. ' Des analyses génétiques ont été menées par l'Entav pour comparer le plant Brunel au mourvèdre, supposé proche. Conclusion : le lien de parenté entre ces deux cépages apparaît difficilement probable. Léon Brunel a néanmoins observé une similitude de comportement entre ses plants et le mourvèdre.
Près d'Aubenas, un champ d'essai comparatif vient d'être mis en place pour huit ans avec le grenache, dont la période de maturité est similaire. Si tout se passe bien, en 2010, le plant Brunel entrera peut-être dans le cercle fermé des cépages autorisés par l'Inao.

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