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Le vin n'est considéré vendu qu'après sa dégustation

La vigne - n°93 - novembre 1998 - page 0

Un négociant achète une récolte à venir. Le jour de la retiraison, une analyse du vin révèle une acidité volatile élevée. L'acheteur refuse la marchandise. Qui doit subir le préjudice? La Cour de cassation a tranché : le vendeur est responsable. Ce n'est qu'après la livraison définitive que les risques du vin passent à l'acheteur.

Le 27 septembre 1990, une société de négoce conclut, avec un vigneron, un contrat d'achat pour une récolte de pommard à venir. Le certificat d'agrément est accordé par l'Inao le 15 décembre 1990 sur la récolte. L'acheteur attend le moment pour procéder à la retiraison de la marchandise. En décembre 1991, sur cette récolte entreposée chez le vendeur, avant de procéder à l'enlèvement, l'acquéreur fait pratiquer une analyse qui révèle une acidité volatile élevée. Aussitôt, il fait savoir qu'il ne prendra pas livraison, la marchandise n'étant pas conforme, et réclame le remboursement des acomptes versés. On lui oppose un refus car la vente était parfaite puisque les deux parties étaient d'accord sur la chose et sur le prix et qu'au moment de la transaction, le vin était loyal et marchand, pourvu de l'agrément.Le procès s'impose. La question soulevée devant les juges est simple : le négociant était-il déjà propriétaire au moment où l'acidité volatile est apparue et doit-il en supporter les conséquences? On aurait pu soutenir que la vente était conclue sous la condition suspensive de la qualité de la marchandise et que cette condition n'étant pas réalisée, la vente ne sortirait pas à effet, mais rien dans le contrat ne faisait référence à cette condition.C'est autour de l'article 1 587 du Code civil que va s'organiser le débat : ' à l'égard du vin, de l'huile et des autres choses que l'on est dans l'usage de goûter avant d'en faire achat, il n'y a point de vente tant que l'acheteur ne les a pas goûtés et agréés '. Or, malgré ce texte, la cour d'appel jugera que la vente était parfaite dès sa conclusion le 27 septembre 1990, en sorte que les risques doivent être supportés par l'acheteur, car il ne résultait ni de l'acte lui-même, ni des autres documents produits que les parties avaient prévu une dégustation ou un agrément qui aurait reporté les effets de la vente. La décision sera cassée car l'article du Code civil étant supplétif de la volonté des parties, la renonciation à ses dispositions ne pourrait résulter du seul silence des parties au contrat.A la suite de la censure intervenue, c'est le vigneron qui subira les conséquences de l'acidité apparue. La vente sera annulée et il devra rembourser les acomptes versés.De l'arrêt, il résulte d'abord qu'aucun usage contraire à cette nécessité de l'agrément n'était établi et surtout qu'aucune convention contraire n'apparaissait implicitement ou explicitement au contrat. Toute la difficulté est de bien cerner l'application de l'article 1 587 du Code civil. Il a été jugé qu'il y a renonciation implicite à l'application de cet article toutes les fois qu'il y a eu stipulation ' qualité loyale et marchande ' (cour de Bordeaux, le 19 mars 1935, Sirey 37-2-208). Mais l'agrément s'impose, même si la vente a lieu au profit d'un commerçant, ce qui est le cas ici. Si l'acheteur ne réclame pas la dégustation, il perd le droit d'invoquer l'article 1 587. Toutefois, celle-ci étant effectuée, il est libre de refuser l'acquisition si le vin ne lui convient pas; c'est au jour de l'agrément que les risques du vin passent à l'acheteur.Une conclusion est à tirer : à défaut de renonciation, l'acheteur est en droit de refuser la réalisation de la vente tant qu'après dégustation, il n'a pas agréé le vin. La Cour de cassation est intervenue sur le premier moyen résultant de la violation de l'article 1 587 CC mais, de ce fait, la Cour suprême n'a pas eu à répondre au second moyen. En effet, le négociant avait fait valoir que même s'il avait été considéré comme acheteur, il subissait un préjudice résultant de la perte de qualité du vin due à une manoeuvre de sauvetage tentée par le viticulteur en mélangeant la récolte 1990 à celle de 1989. La cour d'appel avait rejeté cette prétention au motif qu'il n'apparaissait pas que le mélange ait aggravé la situation. Ce second moyen ne sera pas examiné puisque dès le premier, l'arrêt sera cassé. De ce contentieux découle un conseil pour les vignerons : dès lors qu'ils vendent leur récolte avant retiraison, qu'ils fassent renoncer l'acquéreur à l'application de l'article 1 587 du Code civil; c'est possible.Référence : Cour de cassation, première chambre civile, 24 mars 1998, société Magnienc/Lucas. 12645.Dans le cadre d'un conflit opposant un négociant et un producteur sur la qualité d'un vin qui n'avait pas encore été retiré, la Cour de cassation a donné tort au vendeur en vertu de l'article 1 587 du Code civil

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